
"On nous demande de faire le flic" : les centres médicaux à horaires élargis sous pression depuis la réforme tarifaire
Six mois après l’entrée en vigueur des nouvelles règles de cotation des majorations d'urgence aux horaires de la PDSA (hors régulation), de nombreux centres médicaux à horaires élargis (CHE) des Bouches-du-Rhône ont réduit leurs plages d’ouverture. Contraints de justifier seuls du caractère urgent des consultations réalisées hors régulation, les médecins dénoncent une surcharge administrative et un sentiment d’insécurité face aux patients…

L’entrée en vigueur de la réforme tarifaire en janvier a laissé des traces durables : "60% des centres de santé à horaires élargis [CHE] des Bouches-du-Rhône ferment désormais à 20h, voire à 19h, et ne travaillent pas les dimanches et jours fériés", déplore le Dr Jérémie Chaumoitre, responsable de plusieurs centres.
C’est le cas par exemple des trois centres du Dr Antoine Juhel sur la Côte bleue, à proximité de Marseille, qui ont tous fermé les soirs, dimanches et jours fériés depuis janvier.
Plus récemment, le CHE de la Dre Aurore Baudoin-Haloche dans le 7e arrondissement de Marseille a fortement réduit ses horaires. "J’ai essayé de rester ouverte le plus longtemps possible, mais les médecins ont craqué parce que ce n’était plus assez intéressant financièrement", explique-t-elle. Depuis peu, son centre est fermé à partir de 20h ainsi que le dimanche après-midi.
En revanche, les CHE du Dr Jérémie Chaumoitre - situés dans plusieurs villes des Bouches-du-Rhône - sont pour l'instant restés ouverts les soirs et week-ends, mais l’activité a baissé de 30% pendant les horaires de la permanence des soins ambulatoires (PDSA).
Avant la réforme tarifaire, la plupart des CHE des Bouches-du-Rhône fonctionnaient tous les jours entre 9 heures et 22 heures, y compris les week-ends et jours fériés.
Pour rappel, la nouvelle convention avec l'Assurance maladie - en vigueur depuis le 22 décembre - ne prévoit plus qu’une majoration de 5 euros pour les consultations pendant les horaires de nuit et de week-end. Auparavant, la majoration était de 35 euros tous les jours après 20h, et de 19,06 euros les dimanches, jours fériés et samedis (après 12 heures).
Depuis janvier, pour continuer à bénéficier des anciens tarifs, les CHE doivent en théorie avoir été sollicités par la régulation, ou bien justifier du caractère urgent de la consultation lorsque le patient se présente spontanément.
Des difficultés financières… mais pas seulement
Une des raisons de la fermeture progressive des CHE est, sans surprise, financière. Une part importante des consultations réalisées en soirée ou le week-end (environ 20 à 30%) ne peut plus être facturée au tarif majoré de l’urgence, comme c’était le cas avant la réforme. Pour le reste, 30 à 40% des consultations rentrent dans le cadre de la majoration pour urgences, et 30 à 40% relèvent de dépassements pour exigence.
Pour compenser, les médecins ont la possibilité d’appliquer des dépassements d’honoraires. Mais cette option n’est pas systématiquement envisageable, notamment face à des personnes en situation précaire. "Quand un patient vient pour un motif un peu léger, mais qu’on voit clairement qu’il est en difficulté financière, il n’est pas possible d’appliquer un dépassement", explique le Dr Antoine Juhel. "Notre mission, en tant que médecins, est de garantir un accès aux soins", insiste-t-il.
Outre l'aspect financier, c’est surtout l’incertitude qui décourage les praticiens. "Dans de nombreuses situations, nous ne savons pas du tout si la Sécurité sociale va considérer que la consultation justifiait bien une majoration au titre d’un motif d’urgence", souligne le Dr Jérémie Chaumoitre. Cette incertitude pèse sur les médecins, qui doivent juger en direct ce qui relève ou non de l’urgence, avec le risque de se faire retoquer a posteriori par la caisse.
"Selon notre appréciation, entre 30 et 40% des consultations relèvent des anciens critères d’urgence et sont tarifées comme avant", précise Antoine Juhel. Il s'agit par exemple de plaies, de traumatismes, de pédiatrie du nourrisson ou de douleurs aiguës. Des situations pour lesquelles les centres sont équipés pour assurer les premiers gestes, grâce à de petits plateaux techniques.
Ainsi, au-delà de la baisse de rémunération, c'est surtout la complexité des situations qui rend difficile le maintien des CHE sur les horaires élargis. À chaque consultation, les médecins doivent jongler entre l'évaluation médicale du motif, l’incertitude sur la prise en charge par l’Assurance maladie, et la réalité sociale du patient.
Un sentiment d’insécurité
Mais cette situation pose aussi des problèmes de sécurité pour les praticiens. "On nous demande de faire le flic", estime le Dr Antoine Juhel. Pourquoi ? "Aujourd’hui, c’est aux médecins de dire à un patient, après la consultation, s’il sera bien remboursé ou non." "Et selon les endroits, avec des quartiers plus ou moins sensibles, cela génère des situations d’agressivité auxquelles nous ne voulons pas être confrontés", ajoute-t-il.
Nos médecins sont en train de partir et nous aurons beaucoup de mal à les faire revenir
Quant à la régulation, censée envoyer des patients, les CHE ne reçoivent dans les faits que très peu d’appels. "Nos centres sont mal répertoriés, surtout depuis les modifications des horaires d’ouverture", indique la Dre Aurore Baudoin-Haloche.
"C’est pour toutes ces raisons que nos médecins sont en train de partir et nous aurons beaucoup de mal à les faire revenir. Par exemple, dans mon CHE, sur 4 médecins, une part pour le salariat et une autre se spécialise dans l’échographie", poursuit-elle.
Risque de surcharge des urgences cet été
À l’approche de la période estivale, généralement très chargée dans le département, les CHE alertent sur un report de leur activité vers les hôpitaux.
Une situation d'autant plus problématique que les urgences du département sont déjà surchargées. "Par exemple, cela fait plusieurs jours que les urgences pédiatriques d’Aix-en-Provence ferment, tandis que les urgences de Salon-de-Provence sont en mode dégradé et que la situation est très compliquée à Martigues. Or les CHE auraient pu venir les soulager, comme nous le faisions auparavant", estime le Dr Jérémie Chaumoitre.
Avant la réforme tarifaire, les CHE des Bouches-du-Rhône prenaient en charge 6 000 patients par jour, dont un quart après 20 heures et le week-end.
Les CHE des Bouches-du-Rhône doivent être reçus en septembre par l'ARS Paca et la CPAM. Ils espèrent a minima sortir de la zone grise dans laquelle ils se trouvent en formalisant des critères écrits pour justifier les consultations urgentes.
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